Chapter 89
1647mots
2025-01-04 00:53
"Merde, nous sommes à cinq heures de l'hôtel et encore plus loin de la Grande Table", marmonna Raphaël en plaçant rapidement une poignée de bouteilles d'eau dans notre petit chariot. Si la situation n'était pas si grave, ce moment aurait été hilarant.
Nous nous étions réveillés complètement nus, comme tous les loups-garous après avoir retrouvé leur forme humaine. Nous avons erré dans les bois pendant une heure avant de découvrir une route pavée avec de vrais panneaux de signalisation. Randonner nu dans la forêt n'est pas une expérience que je souhaite revivre. Une demi-heure plus tard, nous avons trouvé le seul magasin fonctionnel de cette petite ville.
À part l'inscription effacée "Mini Mart" sur l'enseigne à l'entrée du parking, rien n'indiquait ce que pouvait être cet endroit. Je m'attendais à une station-service, mais j'ai été surprise de voir des clients sortir du magasin avec des chariots pleins d'épicerie et d'autres articles.
Nous nous sommes dissimulés derrière une petite zone de déchets, essayant d'ignorer l'odeur nauséabonde des fruits pourris et de la viande avariée. Je ne savais pas ce que cherchait Raphaël, mais j'ai sursauté lorsqu'il a surgi de notre cachette. Je restais figée, incapable de bouger.
Appelez cela de la lâcheté, mais je n'étais pas prête à courir nue à travers un parking en plein jour. Je dois admettre que Raphaël, malgré sa carrure imposante, se débrouillait plutôt bien. Personne ne l'a remarqué ; chacun était trop absorbé dans son propre univers. Des mères s'occupaient de leurs enfants, d'autres étaient rivées sur leurs téléphones, et tout le monde semblait perdu dans ses pensées. Raphaël s'était dissimulé derrière un mini-van orné de nombreux autocollants motivants. Le coffre était ouvert, un chariot rempli de provisions laissé sans surveillance à proximité. La femme avait oublié son portefeuille dans le magasin et n'avait pas pris la peine de fermer son coffre. Raphaël a rapidement fouillé dans les sacs, en prenant deux qui semblaient convenir à ses besoins, puis il a vérifié l'avant du véhicule, se déplaçant plus rapidement qu'auparavant.
Une partie de moi avait envie de rire, de glousser si fort que toute l'attention se porterait sur nous. Nous étions là, sans un ami et un frère, complètement désarmés au milieu de nulle part, volant dans la voiture de cette pauvre femme. La situation était absurde, et je ne pouvais m'empêcher de ressentir un rire montant à chaque tentative de la rationaliser.
"Quelqu'un m'a vu ?" murmura Raphaël, tranchant, ce qui me fit sursauter. Je ne l'avais pas vu revenir, se déplaçant discrètement derrière des voitures jusqu'à ce qu'il soit assez proche pour sprinter.
"Mm, je pense que cette mère de soccer là-bas t'a remarqué," dis-je en plaisantant. "Elle a failli perdre connaissance et perdre le contrôle de son chariot."
"Une mère de soccer ?" s'exclama Raphaël en éclatant de rire, une lueur de joie dans les yeux. J'ai dégluti avec difficulté lorsque ses mots firent baisser mon regard. "Dans ce cas, je lui ai probablement rendu service."
Raphaël me tendit un t-shirt presque cinq tailles trop grand, mais je n'étais pas d'humeur à me plaindre ; c'était mieux que de rester nu en plein jour. Il enfila un t-shirt identique et des shorts amples. Nous étions tous deux pieds nus et couverts de boue—j'espérais qu'ils ne nous refuseraient pas à l'entrée.
"Je me sens mal de voler cette femme," murmurai-je en suivant Raphaël vers l'avant du Mini Mart.
"Je savais que tu dirais ça." Les lèvres de Raphaël se tordirent en un sourire. "J'ai son numéro de plaque ; je veillerai à ce que nous la remboursions."
Quinze minutes plus tard, nous étions à l'intérieur du Mini Mart bien éclairé. Raphaël ressemblait à un ours poussant un chariot d'enfant tandis que nous nous déplacions dans les allées.
Le Mini Mart semblait être le principal magasin de la ville, l'endroit où l'on va lorsqu'on a besoin de presque tout. Ils proposaient un large choix d'épicerie, des appareils ménagers, des vêtements et même quelques petits meubles. Raphaël remplissait actuellement le caddie de boissons et de snacks. Aussi tentante que fût la course sous notre forme de loup, quiconque nous avait poursuivis cherchait désormais dans les forêts. Même sous forme humaine, nous devions rester discrets.
Lorsque nous avons réalisé que le Mini Mart avait un rayon de vêtements, nous avons remplacé ce que nous avions volé à la dame. Nous avions besoin de quelque chose avec une capuche, qui nous aiderait à nous fondre dans la foule et à rester discrets.
Raphaël leva les yeux vers moi, ses longs cils accentuant son expression, et grogna doucement : "Arrête de me regarder comme ça."
"Regarder comment ?" répondis-je en reniflant, tentant de concentrer mon regard sur son visage.
Le Mini Mart offrait peu de choix en vêtements, la plupart étant des articles destinés aux touristes. J'éclatai de rire en voyant que Raphaël ne pouvait trouver qu'un sweat-shirt tie-dye deux tailles trop petits. Cependant, mon amusement céda rapidement la place à des regards furtifs de surprise et de désir.
Raphaël trouva une paire de shorts cargo qui lui allait suffisamment bien. Le sweat-shirt, assez ample pour couvrir ses muscles, laissait néanmoins entrevoir chaque définition de ses abdominaux à travers le tissu bon marché. De couleur claire, il arborait des nuances de bleu, de violet et de rose. Bien que son visage fût marqué par la dureté, ces teintes douces lui allaient à merveille.
"On dirait que tu es prêt à me dévorer ici même," rétorqua Raphaël en me donnant une légère tape sur les fesses en passant.
Mon propre choix de vêtements n'était guère meilleur, mais les options étaient très limitées. Les shorts que je portais étaient quelques tailles trop petits et ressemblaient davantage à des sous-vêtements qu'à autre chose. Heureusement, le sweat à capuche noir que j'avais enfilé était assez long pour couvrir mes fesses. Raphaël a grogné en réalisant que le sweat n'était pas à sa taille, ce qui me fait penser qu'il a une aversion pour cette couleur.
Depuis notre entrée au Mini Mart, nous étions en train de nous disputer. Nous tentions tous deux d'ignorer les émotions que nous éprouvions l'un pour l'autre, cherchant à refouler la peur et la panique qui nous paralysaient. Nous nous servions mutuellement de distraction, comme d'une ancre.
Nous cachions tous les deux une vérité que personne ne voulait admettre : Ethan n'était pas mort. Nous le saurions s'il l'était. Je ressentais ma connexion avec lui comme une ligne de pêche, infinie et plus forte que tout ce que j'avais connu. Ce lien n'était pas rompu.
La terre tremblerait si l'un de mes jumeaux me quittait, j'en étais convaincue. Il était bien vivant, et nous espérions la même chose pour Chloé.
Raphaël a payé nos achats avec un billet de vingt qu'il avait volé dans le van d'un étranger. Je ne pouvais m'empêcher de penser que plus nous tentions de nous fondre dans la masse, plus nous attirions l'attention. Un couple de personnes âgées nous a permis d'utiliser leur téléphone portable pour passer un appel. Nous avons jugé qu'ils étaient les moins susceptibles d'être des assassins potentiels ou des espions de la Haute Table.
J'ai laissé échapper un soupir tremblant lorsque le père des jumeaux a décroché. Raphaël et moi échangions un regard, chacun reconnaissant le soulagement qui nous envahissait. Nous ressentirions la même émotion en retrouvant Ethan et Chloé, car nous allions les récupérer.
"Ils vont tous bien, Sebastian et Williams aussi", soupira Raphaël, passant ses doigts dans ses cheveux. Ce geste fit glisser sa capuche, le faisant grogner. "Clairement, tu étais la cible. Ils ont probablement enlevé Ethan et Chloé pendant notre fuite."
Ma gorge se serra à cette pensée, et toutes les émotions refoulées émergèrent. La culpabilité, aiguë et brutale comme un vieux couteau de boucher, me lacérait.
"Ne fais pas ça, chérie", dit Raphaël en grimaçant, m'attirant contre lui. Il n'était jamais enclin aux longs discours, mais il savait toujours me donner le soutien dont j'avais besoin. "Nous ferions n'importe quoi pour toi, mais j'ai besoin que tu sois forte pour Ethan et Chloé. Quelqu'un de la Haute Table est derrière tout ça, et nous allons leur faire payer."
J'ai cédé à ma vulnérabilité pendant quelques instants, me laissant submerger par la douleur dissimulée sous ma peau. Quelques secondes suffisaient. Je serais inutile à Ethan si je laissais cette situation me briser. Raphaël me donna ces instants, me tenant fermement. Je ne pleurais pas ; je ne pouvais pas, car Raphaël me transmettait la force de ses émotions. L'amour si doux d'un homme pourtant si naïf était plus pur que tout ce que j'avais ressenti auparavant.
Nous arriverions à la réunion de la Haute Table juste à temps, à condition d’avoir de la chance. Nous avions déjà perdu du temps en fuyant l'hôtel et n'avions même pas quitté le territoire neutre. Je ne me permettais pas de trop y penser. Raphaël et moi avions suffisamment de préoccupations sans considérer les chasseurs de primes ni les loups solitaires.
Nous devions nous rendre à la ville voisine, presque à une heure de là. Sebastian avait un ami sur place qui nous conduirait au prochain hôtel, situé à sept heures de route. Je n'étais pas prête à accorder une telle confiance à Sebastian, mais quel autre choix avions-nous ? J'étais disposée à tout pour retrouver Chloé et Ethan.
Nous avons pris un taxi pour la ville voisine, nous dirigeant vers une adresse fournie par l'ami de Sebastian. Nous sommes arrivés sur le parking d'un petit magasin de matériel et avons attendu. Cet ami s'est révélé être le propriétaire du magasin. Raphaël et moi, blottis à l'arrière de son pick-up pendant sept heures, devenions de plus en plus raides et irritables alors que le soleil se levait puis se couchait enfin. Le camion sentait le tabac, ce qui n'était pas désagréable. Les cigares que fumait l'ami de Sebastian sentaient doux comme le miel et le bourbon.