Boris a tout de suite fouillé dans sa liste de conversations le nom de Jerry son assistant qui venait d’appeler, il l'a ouvert. Ce dernier venait de lui envoyer une photo. Dès le premier coup d'œil, l'image en gros plan de Catherine a attiré son attention. Boris a lu avec grand intérêt les informations de l’affiche.
- Qu'est-ce qu'elle nous prépare encore cette petite ! S'est-il exclamé.
Il n'en revenait pas, c'était un visuel qui annonçait l'interview de Catherine le lendemain soir sur le plateau d’André Koyann. L'expression du visage de Boris a immédiatement changé. Le sourire joyeux de tout à l'heure a été troqué contre une mine sérieuse. La nouvelle ne plaisait évidemment pas à Boris. Il venait de trouver un accord avec Philippe et craignait sa réaction vis-à-vis de l'interview de Catherine.
- Cette petite a décidément l’art de m'énerver. A-t’il marmonné en grinçant des dents.
Boris a ensuite attrapé le téléphone fixe sur son bureau, a composé un numéro. Il était sur le point de lancer l'appel lorsque son doigt est resté figé en l’air juste au-dessus de la touche de validation. Après une longue hésitation, il a renoncé et a finalement claqué le combiné du fixe sur sa base.
- Pouf ! Ça l’aidera peut-être à se calmer, mais il faudra que je lui en touche un mot ce soir pour qu’elle ne dise pas des choses déplacées. A-t-il conclu avant de reprendre son téléphone portable pour continuer à consulter ses messages.
Dans l’après-midi avant le coucher du soleil, Lima s’est vue contrainte de revenir à l'entreprise pour une réunion d’urgence imprévue qui venait d’être annoncée par le DG de sa boite. Elle est entrée en trombe, son sac bandoulière à l'épaule, manipulant son téléphone avec une grande concentration. Lima avait été occupée à enquêter sur le terrain toute la journée et n'avait pas eu le temps de consulter son téléphone personnel. Elle se dirigeait en furie vers la salle de réunion lorsqu'elle a été interpellée par son supérieur :
- Oh, tiens ! Lima, tu es déjà de retour ? Tu as pu vérifier l'information que je t'ai confiée ?
Agacée par la voix de Xavier Taïd, son irritant supérieur, Lima a soupiré en lui faisant face. Un grand faux sourire avait déjà occupé ses lèvres.
- Oui, bien sûr, dans cette enveloppe il y a tout ce que vous devez savoir. A-t-elle répondu en lui tendant une enveloppe kaki contenant des documents.
- C'est bon ? Parce que si c’est tout, j’aimerai bien y aller.
- Bien sûr, tu peux y aller. Bref, allons-y. De toute façon nous allons au même endroit. Il a achevé sa phrase avec un sourire arrogant qui a encore vexé davantage Lima.
Lima s’est retournée encore plus exaspérée par lui. Ils ont cheminé côte à côte en silence ; elle sentait tout de même les regards que l’homme lui jetait de temps en temps, ce qui l’a encore plus ennuyé. Elle en avait marre d’être la subordonnée de cet homme, elle se félicitait intérieurement d’avoir la force de le supporter tous les jours.
Dans la salle de réunion, à l'exception du DG à qui il était réservé l'honneur d'arriver le dernier, tout le monde était déjà présent lorsque Lima et Xavier sont entrés. Xavier s’est empressé de poser ses fesses sur la première chaise libre qui se trouvait près de la porte ; obligeant ainsi Lima à faire le tour de la table pour occuper le prochain siège libre. Lima avait toujours le nez fourré sur son téléphone. En tirant la chaise pour s’asseoir, un sourire s’est élargi sur ses lèvres. Lima était contente, très heureuse de lire le message que lui avait envoyé Erina pour confirmer que Philippe avait accepté de lui accorder l'interview qu’elle voulait tant. C'était sa chance et elle devait la saisir. Sans perdre de temps, elle a envoyé un message de remerciement à Erina. Au même moment le DG est entré et Lima s'est empressée de mettre son téléphone sur silencieux avant de le lancer dans son sac. L'assistant du DG a tiré la chaise pour son boss. Après s’être assis, le DG s'est raclé la gorge, avant d’introduire :
- Bien, content de voir votre degré d'engagement ; je sais que cette réunion est soudaine mais il le fallait. Je n'ai pas besoin de vous apprendre que notre l'audience est en baisse. On dirait que nos téléspectateurs s’ennuient de nos programmes. Il nous faut quelque chose pour les retenir davantage sinon nous allons tous les perdre.
- Une nouvelle émission peut-être. Un des membres a lancé.
- Développez. A renchéri le DG.
- Je… Je n’ai encore rien de concret mais…
- Je veux du concret, épargnez-moi des spéculations et donnez-moi quelque chose de juteux.
La salle est tombée dans un silence. Certains ont baissé leur tête pour éviter le regard du DG.
- C’est vraiment incroyable que tout ce monde réuni ne parvienne pas à trouver une idée. Le DG était extrêmement en colère et déçu par l’attitude des employés.
Il a soupiré avant de se lever.
- Bien, vous avez 24h pour m’apporter quelque chose de croustillant sinon je peux vous garantir qu’une personne va devoir nous quitter.
Sur ce, il était sur le point de quitter la salle de réunion.
- Et si…
Aux premiers mots de Lima, toute l’attention s’est portée sur elle. Le DG s’est retourné et l’a fixé. Lima a continué :
- Et si on les attirait d’abord avec un évènement éphémère. Genre… quelque chose qui les ferait avoir de l’intérêt pour notre chaine, qu’ils se souviennent de nous ; on pourra ensuite suivre avec des programmes plus intéressants que ceux que nous proposons.
Le DG qui a réfléchi un moment et est retourné s’asseoir.
- A quoi vous pensez exactement ?
Contente d’avoir capté son attention, Lima s’est lancée avec assurance :
- Une interview avec Philippe Huiret.
Toute la salle, le DG y compris a éclaté de rire.
- Philippe Huiret ?! Les autres se sont moqués entre deux rires. Elle se prend pour qui celle-là pour espérer une interview avec Philippe Huiret ?
- Mais tu es folle ma grande ? Xavier a demandé. Redescends de ton petit nuage, Philippe Huiret n’est pas un homme qu’on peut avoir sur un plateau juste en prononçant son nom.
Ils ont encore ri pendant un bon moment. Lima ne s'est pas gênée, elle s’est montrée patiente. Après tout, elle s’y attendait. Elle les a observé et a attendu qu'ils terminent pour qu'elle continue. Lorsqu'ils ont enfin terminé, le DG l’a réprimandé :
- Si c’était pour me faire perdre mon temps, vous auriez dû me laisser partir.
- Ecoutez monsieur, André Koyann en une seule après-midi a su capté l’audience avec la simple annonce de son interview avec Catherine Lan. Si nous proposons Philippe Huiret, l’homme qui s’exprime rarement sur les plateaux, pensez-vous que ça va passer inaperçu ?
- On parle tout de même de Philippe Huiret, c’est à peine s’il accepte s’afficher avec les médias si ce n’est lors d’un évènement public. Comment comptez-vous vous y prendre ?
- Laissez-moi m’occuper de tout, vous verrez. Et après ça je suis certaine que vous ne serez pas déçu.
Le doute hantait toujours l’esprit du DG. Il a longuement fixé Lima.
- Bien, Au point où on en est… Faites ça, et je peux vous promettre que vous serez grandement récompensés.
Un large sourire scintillant a pris possession du visage de Lima. Le DG a enfin quitté la salle ; les autres ont fait de même quelques secondes après lui. Au moment où Lima s’apprêtait à traverser la porte, elle a senti une prise sur son bras. Elle s’est arrêtée, a fixé Xavier qui la tenait :
- Qu’est-ce que tu crois ? Que tu vas jouer la fée et venir avec une solution miracle ? Reste à ta place Lima, fais ce que tu sais faire.
- Tu te trompes si tu penses que je vais rester sous tes ordres toute ma vie. Au fait, je serai indisponible dans les jours à venir, il faudra que je prépare l’interview avec Philippe Huiret. Tu sais ce que c’est.
Ceci dit, Lima a quitté la salle très fière d’elle, laissant Xavier en compagnie de son aigreur.
Xavier Taïd, le supérieur de Lima et elle se connaissaient depuis l’époque du Lycée. Après avoir suivi des cursus académiques dans des universités différentes, le coup du destin les a à nouveau réuni au sein de la Mighty Vision Media comme stagiaires, ensuite comme enquêteurs de terrain. Le rêve de Lima en tant que journaliste avait toujours été d’être sur des plateaux télévisés, d’avoir son émission à elle. Mais après des années dans l’entreprise, l’administration de la Mighty Vision Media avait choisi de promouvoir Xavier non seulement au poste de présentateur du journal du soir, mais également comme coordonnateur de programmes. En tant qu’enquêtrice sur le terrain, Lima faisait partie de ceux-là qui devaient vérifier la véracité des informations pour le journal. Elle détestait ça, avoir à travailler en lien direct avec Xavier. Braver le soleil, le mépris des autres au quotidien pour avoir des informations sur le terrain l’agaçait au plus haut point. Lima en voulait plus. Si l'interview avec Philippe pouvait la propulser, alors, elle n'hésiterait pas à bondir sur l’occasion.
Le soleil s’était couché en laissant une marque brûlante sur la toile. Les accros des actualités people étaient servis et ne lâchaient plus leurs smartphones. Les commentaires fusaient de partout, internet partait en vrille. Et pour cause, les photos de Philippe, Erina et Lilibet avaient été publiées et partagé par plusieurs pages. Les réactions ne s’étaient pas faites attendre, les commentaires étaient en grande partie en défaveur d’Erina qui s’est vue trucider et recevoir toutes sortes de mots méchantes à l’endroit de sa personne. Catherine en revanche, pouvait compter sur l'empathie des internautes.
Allongée sur un canapé du salon, Catherine défilait toute souriante sur les commentaires haineux adressés à Erina. Elle était fière du résultat qu’avait provoqué cette publication. Alors qu’elle s’apprêtait à quitter le réseau social pour émettre un appel, au même moment un appel est vite arrivé. Sans se débarrasser de son sourire, Catherine a décroché :
- Alors, est-ce que vous êtes satisfaites ? André lui a demandé.
- Très. J'avoue que je m'attendais à ce que ça fasse parler mais à ce point… je suis vraiment surprise ; c'est au-delà de ce à quoi je m’attendais.
- Bien, content que cela vous plaise. Alors, on se dit à demain pour l'interview.
- Okay, à demain.
L’appel s'est arrêté.
- Alors, c’est toi qui es derrière tout ce déchainement ? J'avoue que sur ce coup, tu as frappé fort Cathy.
Catherine s'est tournée, suivant la voix de sa mère qui provenait de la direction de la cuisine. Celle-ci rejoignait le salon avec un couteau et une pêche à la main. Emilia s'est assise sur un autre canapé.
- Que comptes tu obtenir avec tout ça ?
Catherine a détourné le regard de sa mère, s'est remise en manipuler son téléphone. Toujours souriante, elle a rétorqué à Emilia :
- A ton avis, qu'est-ce que j'essaie de faire ? Je veux que cette femme n’ait même plus le courage de marcher dans la rue. Elle m’a pris mon fiancé le jour de mon mariage, et ça, je ne l’accepte pas. Si tout le monde la voit comme la maîtresse qu’elle est et moi à côté comme une femme fragile dont le fiancé se plait à se pavaner comme bon lui semble avec sa maitresse, alors pour moi c’est une victoire.
- Et Philippe qui t’a abandonné, tu comptes faire quoi de lui ?
- Attaquer cette femme c’est déjà attaquer Philippe, son image est également affectée par tout ça.
- Si tu le dis. Sois juste prudente, j’espère que tu ne seras pas la perdante de l’histoire.
- Rassure-toi maman, je ne perds jamais. En plus, j’ai le soutien de Rhema.
Emilia a impuissamment secoué la tête en haussant les sourcils. Elle a mis dans la bouche une partie de la pêche qu’elle venait de peler. La porte s'est brusquement ouverte et a été brutalement refermée.
- Catherine. Boris furieux, a crié.
Sa voix a effrayé les deux femmes au salon. Catherine qui était couchée s'est redressée en s'asseyant tandis qu’Emilia, elle, a posé tout ce qu’elle avait en main sur la table et s'est levée pour faire la barrière entre Boris et Catherine.
- Tiens, te voilà. Boris a ajouté en remarquant la présence de Catherine.
- Qu'est-ce qu'il y a Boris ? Emilia a demandé inquiète.
- Ne fais pas celle qui ignore les agissements de ta fille. Je suis sûr que tu es au courant de son interview. Mais j’espère…
- Oh ! C’est donc pour ça que tu es furieux ? Catherine a questionné avec une attitude calme et sereine en se levant à son tour.
- J’espère pour toi que tu ne diras rien de stupide lors de cette interview qui pourrait mettre Philippe en colère. J’ai enfin réussi à trouver un arrangement avec lui et ce n’est pas toi qui…
- Papa, tes affaires avec Philippe c’est entre vous. Ce que je fais ne te concerne pas. Tu gères les tiennes et moi les miennes.
- Catherine. Emilia a fermement appelé.
- Quoi ?! Sale petite fille pourrie gâtée. Comment est-ce que tu oses me parler ainsi ? Je te rappelle que sans moi, tu ne vivrais pas cette vie que tu as aujourd’hui.
- Peut-être. Mais j’ai aussi joué un rôle dans cette entreprise durant ces dernières années.
Emilia qui se tenait entre eux, s’est mieux rapprochée de Boris pour le retenir.
- Allons, Boris calme-toi. Je suis sûre que nous pouvons gérer ça calmement.
- Non, maman laisse-le passer, laisse-le faire ce qu'il veut, de toute façon il n'y en a que pour lui et son entreprise ; le reste ne compte pas. Même pas sa propre fille.
- Catherine arrête. Emilia l’a sévèrement grondé.
Catherine n’avait que faire des interventions de sa mère.
- Comment veux-tu que je me calme ? Tu penses que je ne sais pas le fond de sa pensée ? J’étais déjà une déception pour lui avant la naissance simplement parce que je suis une fille et pas le garçon qu’il aurait voulu avoir. Mais tu sais quoi ? Je suis déjà née, je suis bel et bien là et tu devras faire avec.
Boris s’est senti mal en écoutant son coup de gueule. Il a soupiré en posant son sac sur le sol, puis s'est approché de Catherine. Emilia l’a laissé faire en voyant la douceur avec laquelle il est allé vers sa fille.
- Catherine ma chérie, écoute, ne pense pas ainsi. Bien sûr que je t'aime. Je suis ton père, tu es ma fille, tout ce que je souhaite c’est que tu sois heureuse. Comprends bien que Philippe ne t'aime pas et ne t'aimera jamais. Je sais à quel point c’est dur d’accepter ça avec tout l'amour que tu portes pour lui. Mais comprends bien qu’il aime cette femme, ils ont une fille ensemble, et il compte fonder une famille avec elles. Oublie-le et passe donc à autre chose. Il y a tellement d'hommes biens, tu es une fille intelligente, je suis sûr qu'il y a un homme qui te conviendra.
- Non papa. Je ne le ferai pas, j'aime Philippe bien avant même que cet arrangement de mariage n'ait lieu et vous le savez. Je vais le récupérer.
- Tu vas te faire du mal si tu insistes avec cette histoire.
- Tu sais quoi papa, occupe-toi de ton entreprise, c’est là où tu excelles et moi je m'occupe de ma vie.
Catherine a attrapé son portable et a pris les escaliers pour aller dans sa chambre. Encore plus furieux, Boris s’en est pris à Emilia en la blâmant :
- Tu vois ça ? Ta fille est impossible. C’est incroyable d’être aussi têtue et mal éduquée. Elle ne va rien récolter de bon à s'entêter ainsi.
Emilia est resté sans voix et a observé Boris prendre les escaliers à son tour. Le père et la fille étaient pour elle un vrai casse-tête.