- Je suis là pour ma petite fille.
Maître Lujre a levé un coin de son sourcil semblant ahuri.
- Oh voyons maître ! Ne faites pas cet air surpris, vous êtes beaucoup plus malin que ça. Je suis certaine que tout comme la majorité, pour ne pas dire tous les habitants de ce pays, et certainement du monde entier, vous êtes au courant du mariage de mon fils qui a été interrompu par l'arrivée de cette jeune femme et sa fille.
- Excusez-moi madame Huiret, j’ignorais que tout cela était vrai, je pensais que c'était juste des rumeurs.
- Hélas ! Non. C'est bel et bien vrai, cet enfant est la fille de mon fils Philippe, c'est ma petite fille.
- Bien, et qu’attendez-vous de moi ?
- Je veux avoir la garde de cet enfant, qu’elle grandisse avec les siens, dans la famille de son père.
Maître Lujre hochait plusieurs fois la tête, formant ses propres idées en tête.
- Bien, je comprends mais qu'en est-il de la mère de l'enfant ? Est-elle d'accord avec ça ? Je veux dire… est-ce qu’elle est prête à abandonner toutes ses responsabilités sur cet enfant ?
- J'ai un test ADN qui prouve que cet enfant est mon sang.
- C'est bien, le test ADN. C'est pertinent mais pas assez pour retirer à une mère la garde de son enfant. Je vous respecte beaucoup Mme Huiret mais si vous voulez avoir la garde complète de votre petite-fille, il faudrait soit que sa mère abandonne entièrement ses droits parentaux ou alors prouver qu'elle est incapable d'une quelconque manière que ce soit de s'occuper de son enfant. Au cas contraire, vous ne pouvez que vous contenter d’une garde partagée avec elle.
- Et si on trouvait un arrangement à l’amiable ? Je suis prête à dédommager cette femme pour tous les sacrifices qu'elle a faits pour cet enfant depuis sa naissance.
- L’argent ne résout pas tous les maux Mme Huiret.
- A ce qu’on dit. Mais il est aussi connu que tout le monde a un prix et je suis sûre que cette femme n’est pas une exception. Vu son allure, elle ne doit pas avoir grand-chose donc c’est un service que je lui rendrai.
- Voyons, cet enfant a quoi ? 5-6 ans ? Je vous ai donné les conditions : si elle n'est pas prête à renoncer à son enfant, je peux vous assurer que ce sera très compliqué donc…
- Est-ce une façon de me dire que vous ne pouvez pas vous occuper de cette affaire ? J’avoue que vous me décevez vraiment sur ce coup. Vu votre réputation, j’avais tout misé sur vous mais apparemment vous n'êtes pas à la hauteur.
Loin de prendre ses mots comme une injures, maître Lujre en a même souri.
- C’est Bien dommage que vous voyez les choses ainsi Mme Huiret. On parle bien d'une enfant.
- Oui, une enfant, je sais. Ce n'est d’ailleurs pas la première fois que vous retirez une enfant à sa mère. Vous n'allez pas me dire que votre conscience vous joue des tours. Si ?
- Non, effectivement, ce n'est pas la première fois, c'est vrai. Sauf que je le fais avec raison non pas par pure fantaisie. Si vous arrivez à avoir quelque chose de solide qui peut discréditer la mère, je pourrai vous aider ; au cas contraire…
Maître Lujre a terminé sa phrase en secouant la tête pour que Rhema comprenne bien sa position.
- Okay, je vois. Rhema a conclu malgré elle. Venir ici n’aura donc servi à rien.
- Je suis navré Mme Huiret.
- Et moi donc.
Rhema s’est levée.
- Passez une bonne journée Mme Huiret. Maître Lujre a souhaité alors que Rhema s’appretait à ouvrir la porte.
Elle n'a pas vraiment répondu, du moins pas de façon audible. Rhema a tout simplement émis un son du fond de sa gorge qui ressemblait à un grognement en guise de réponse et a quitté le bureau de maître Lujre.
Quand Philippe a ramené Erina et Lilibet chez elles après le repas, Lilibet était déjà endormie dans les bras sa mère. Une fois à l'entrée de la maison, ils sont sortis de la voiture à l’unissons. Erina a commencé à se diriger vers l'entrée lorsque Philippe l’a retenu et lui a remis les documents de Lilibet pour l'école.
- J'enverrai un chauffeur déposer ses fournitures scolaires dès que possible. Il a ajouté.
Erina voulait s’opposer mais a renoncé. De toute façon, Philippe faisait ce qu’il voulait, même si elle s’y opposait, il le fera malgré tout. Elle avait été habituée à faire elle-même les achats pour l’école de sa fille. Erina a simplement hoché la tête, ils se sont ensuite dit au revoir et Philippe est retourné dans sa voiture.
Il n'a pas pris le chemin de Universe Corporation, il a conduit vers une des zones industrielles de la ville située loin de son entreprise : Philippe se rendait au bureau de Boris Lan. Il avait longtemps repoussé la discussion avec ce dernier et pensait qu’il était temps d’en finir en parlant à cœur ouvert entre hommes. Une fois sur place, il a garé son véhicule et remis ses clés à l’un des voituriers avant d’entrer dans l'immeuble. Dès que Philippe a franchi le hall d’entrée, tous les yeux se sont braqués sur lui ; des employés de l’entreprise aux clients. Tous avaient le regard rivé sur lui ; majoritairement les femmes. Certaines murmuraient entre elles en souriant et jetant sur lui des regards furtifs ; d'autres lui affichaient leur plus joli sourire en guise de salutations. Philippe hochait courtoisement la tête aux différents signes qu’il recevait. A l’entrée de l’ascenseur, une des hôtesses l’a guidé vers la cabine qu’il devait prendre pour se rendre à l’étage du PDG. Philippe l’a remercié pendant que les portes se refermait. Une fois en haut, il a été accueilli par une autre hôtesse qui cette fois ci l’a conduit à la secrétaire du directeur Lan. Celle-ci s'est levée pour accueillir Philippe dès qu’elle l’a aperçu.
- Bienvenue M. Huiret.
- Merci.
- M. Lan est actuellement occupé mais il vous recevra dès que possible.
- D’accord, je peux très bien attendre jusqu’à ce qu’il ait fini.
La secrétaire s’est sentie rassurée par ses mots puis elle s’est rendue dans une des pièces à côté et en est sortie quelques minutes plus tard avec de quoi grignoter et à boire pour occuper Philippe le temps que son patron se libère. Philippe lui a fait son aimable sourire en la remerciant puis la secrétaire est retournée s’asseoir. Au bout d’une vingtaine de minutes, la porte de Boris s’est enfin ouverte ; deux hommes en sont d'abord sortis, et Boris a ensuite suivi. Les deux hommes n'étaient bien sûr pas étrangers à Philippe, ils étaient également des hommes prestigieux et connus du monde des affaires. Philippe s'est levé en ajustant son costume taillé sur mesure.
- M. Hambre. Philippe a lancé lorsqu’ils sont arrivés à son niveau.
- Tenez donc ! Quelle surprise de tomber sur vous M. Huiret ! S’est exclamé le dénommé M. Hambre en tendant une main à Philippe.
Philippe a poliment accepté sa poignée et main, ensuite il a également serré tour à tour celles de Boris et l’autre homme qui les accompagnait.
- Ça fait vraiment longtemps ! Philippe a commenté.
- Ça, je vous l’accorde. Vous êtes plutôt rare M. Huiret, c’est devenu un privilège de vous rencontrer. Certains vous considèrent même déjà comme un mythe et se demandent si vous existez vraiment, vous le saviez ? A affirmé M. Pariard, l’homme qui accompagnait M. Hambre et Boris.
- Abon ?! Ça je l’ignorais. Philippe a répliqué en souriant élégamment. Quoi qu'il en soit, j'espère que vous allez bien, et votre famille aussi.
- Je peux me vanter de jouir d’une santé de fer.
Ils ont discuté encore pendant un bref moment avant de se séparer. Boris a laissé ses deux invités à l’entrée de l’ascenseur, puis il est retourné retrouver Philippe qui l’attendait dans la salle d’attente, et l’a ainsi invité à le suivre dans son bureau.
- Philippe, je ne m'attendais pas à votre visite. Boris a dit en s’asseyant.
- Désolé de débarquer ainsi à l'improviste Boris.
- Vous êtes déjà là, prenez donc place.
Philippe a obéi et s’est assis. Boris lui a demandé.
- Qu'est-ce qui vous amène ? Si Vous êtes là c’est bien pour une raison, non ?
- Je vous demande déjà pardon parce que cette rencontre aurait dû avoir lieu depuis bien longtemps. Après tout ce qui s'est passé le jour du mariage et les événements qui ont suivi, j'aurais dû venir vous voir pour que nous en parlions entre hommes. Je tiens à ce que vous sachiez que rien de ce qui s'est passé était prévue. Je vous prie vraiment de m’excuser pour l'humiliation causée à votre famille, principalement à votre fille.
Boris est resté silencieux un bon moment, fixant Philippe et soutenant son menton avec sa main droite dont le coude était appuyé contre la table de son bureau. Philippe ne se sentait guère gêné ni déstabilisé par son regard. Il comprenait parfaitement que Boris avait ses raisons d’être en colère. Comme s’il venait de loin, Boris s’est ressaisit, a changé de position ; sa main qui soutenant son menton tout à l’heure a attrapé un stylo quelconque et s’est mise à le manipuler.
- Philippe, j’ignore votre histoire avec cette femme mais son acte a énormément fait du mal à ma fille qui en a pris un sacré coup et en tant que père, cela me désole beaucoup de la voir souffrir autant. Je reconnais que nous vous avons forcé la main pour cette union mais Catherine est très attachée à vous et vous aime sincèrement ; vous devriez reconsidérer votre décision et reprogrammer une date pour le mariage.
- Si ce mariage a lieu, votre fille n’en ressortira avec rien de bon. Au départ lorsque je l’ai accepté, je n'avais rien à perdre. Cette femme qui a débarqué le jour de la cérémonie, c'est mon amour de jeunesse et je l’aime encore. J'avais perdu tout espoir de la revoir un jour mais aujourd'hui elle est là, avec ma fille ; la vie m'offre une chance de construire une famille avec celle que j'aime et notre enfant alors pardonnez-moi si je suis égoïste mais je préfère être sincère avec vous : l'union avec Catherine n'aura jamais lieu parce que je ne l’aime pas.
- L’amour n’est qu’un détail, avec le temps vous allez vous habituer à la présence de Catherine au point d’oublier votre amour pour cette femme. En plus, vous pouvez installer votre enfant et sa mère dans un appartement, assumez toutes leurs charges, visitez-la quand vous voulez, vous êtes un homme Philippe, je suis sûr que vous voyez de quoi je parle.
Philippe a esquissé un faible sourire, puis il a répliqué :
- C’est donc à ça que ressemble votre vie conjugale avec Emilia ?
Boris est resté silencieux un moment avant de reprendre la parole :
- Chaque foyer a ses dessous, j’aime mon épouse, c’est vrai mais là il ne s’agit pas de moi, je plaide pour ma fille.
- A entendre votre logique, je me demande si vous plaidez pour elle ou si vous la condamnez à un malheur certain.
Le sarcasme de Philippe était évident.
- Dommage que vous ne saisissiez pas l’opportunité d’être avec Catherine, cela aurait été plus bénéfique pour vous au lieu de cette fille banale.
- Cette fille banale comme vous le dites, s’appelle Erina. Ne jouez pas les pères intègres Boris, je sais que votre entreprise est sur le point de déposer son bilan et de mettre la clé sous la porte. Cette union est avant tout pour sauver votre entreprise ; je suppose que c’est le plus important pour vous actuellement sinon, ces deux hommes que j’ai croisés tout à l’heure ne seraient pas venu vous rencontrer.
- Aux dernières nouvelles, vous êtes papa n’est-ce pas ? Vous comprendrez les contraintes que ce rôle implique avec le temps Philippe.
- Quoi qu’il en soit, laissez-moi gérer les turbulences de ma vie privée. Et pour ce qui est de votre entreprise, je vous ferai un versement pour vous aider à vous relever, je vous dois au moins ça.
Sur ce, Philippe s’est levé, Boris a fait pareil.
- Boris, je dois vous laisser et j’espère vraiment que votre fille va un jour trouver son bonheur.
Boris a hoché la tête en serrant la main de Philippe.
- J’espère que vous n’allez pas regretter votre choix. A-t-il spéculé à Philippe.
- Ne vous en faites pas, je saurai assumer les conséquences de mes actes.
Philippe s’est dirigé vers la porte, il était sur le point de quitter le bureau lorsqu’il a soudainement freiné le pas ; semblant s’être rappelé de quelque chose. Il s’est retourné vers Boris.
- Au fait, vous devriez éviter de traiter avec M. Hambre et M. Pariard ; je sais à quel point vous êtes désespéré mais ces deux hommes sont des requins. Au moindre faux pas, ils vont vous avoir et croyez-moi, ils n'y iront pas de mains mortes.
Boris n’a rien dit et a regardé Philippe quitter son bureau.
Après son départ, Boris était maintenant seul dans son bureau, plongée dans ses pensées. Il réfléchissait par rapport à la situation actuelle : même si le mariage de Catherine et Philippe aurait été plus bénéfique grâce au lien que cela aurait créé, Boris se réjouissait du fait que Philippe respectait toujours son engagement d'injecter des fonds dans sa société. Il aurait aimé avoir plus mais il pouvait déjà s'estimer gagnant car au moins son entreprise sera sauvée. Quant à sa fille, elle était encore jeune et très belle femme donc elle pouvait se trouver un bel homme d'une bonne famille à l'avenir. Satisfait de l'arrangement final avec Philippe, Boris a attrapé son portable qui était près de lui, il s'est mis à défiler la liste de ses conversations pour lire les messages qu'il avait reçu. Au même moment, un appel entrant s'est affiché à l'écran. Boris n'a pas tardé à répondre :
- Allô !
- Monsieur Lan, je viens de vous envoyer une image, vous devriez la regarder.
- D'accord.
L'appel a immédiatement pris fin.