ELIANA.
La porte s'écarta et son parfum familier souffla sur mon visage. Ivan se tenait derrière moi alors que j'entrais dans la chambre de l'Alpha, un endroit où il m'était autrefois interdit d'entrer. En tant qu'Esclave de la Meute, beaucoup de choses m'étaient interdites et j'oubliais souvent que j'étais aussi la fille de l'Alpha.
Que Gerald Jacobs était mon père.
Alors que je m'avançais et que mes yeux se posaient sur lui, il était difficile de ne pas se souvenir de toutes les choses qu'il avait laissées passer dans le passé. Il était assis à côté de son lit et ma grand-mère était juste à côté de lui.
"Entre" fit-elle en me voyant hésiter. L'atmosphère était froide et tendue lorsque enfin, son regard se fixa sur le mien. Il avait l'air de se porter beaucoup mieux. Pour commencer, il s'était débarrassé de son fauteuil roulant et pouvait maintenant s'asseoir sur le canapé.
Son visage était empreint d'autant d'émotion.
Dans ses yeux ambres déclinants qui scrutaient mon âme et puis lentement, les lèvres de mon père se courbèrent en un sourire. Il jeta un coup d'œil au lit pendant que je m'approchais de lui. Puis ses mains enveloppèrent quelque chose, comme une pierre spéciale ou un cristal qu'il tendit vers moi.
J'étais réticente à ce moment-là. Il n'avait pas encore prononcé un mot.
Je levai les yeux vers ma Nana et ce n'est que lorsqu'elle acquiesça que je saisis la pierre. "Tu m'as appelée?" J'ai brisé le silence, le regardant à nouveau.
"Oui," Il acquiesça doucement. Sa voix était faible mais encore audible.
"J'ai une histoire très drôle," Il commença, un léger rire sortant de ses lèvres. "En fait, si tu y penses bien, tu verras que tout cela n'est qu'une drôle d'histoire sans fin," Mon père se racla la gorge. Il restait encore un demi-sourire sur ses lèvres.
Puis il se racla à nouveau la gorge.
"Tu sais comment ta mère et moi nous sommes rencontrés?" Il demanda. J'ai secoué la tête et il m'a fait signe de m'asseoir à côté de lui sur le lit. Ce que je fis.
"C'était un matin d'été ici à Oakland, nous n'avions pas eu ça depuis longtemps. Habituellement, il fait si sombre ici, mais ce n'était pas toujours le cas. Tu vois, le soleil se levait et le vent remplissait les arbres si légèrement que les oiseaux se gonflaient les plumes et passaient toute la journée à gazouiller joyeusement. Et je chassais ce jour-là,"
"Quand j'ai senti quelque chose frapper mes pieds. C'était si douloureux que je me préparais à crier sur celui qui aurait pu lâcher ça, mais quand j'ai levé les yeux et qu'elle était là, en face de moi, j'étais sans voix. Je ne pouvais pas dire un mot, Eliana. Ta mère était la plus belle chose que j'avais jamais vue et en souriant, elle est tombée à genoux pour s'excuser." Ajouta Gerald.
"Tu sais, à partir du moment où ses mains ont effleuré mes jambes, j'ai su. Je savais qu'elle était ma compagne. C'était toujours si indélébile et fort, ce lien et cette sensation qui s'insinue dans ta poitrine. Tu ne peux pas te tromper, il n'y a rien au monde de comparable à la découverte de ton âme sœur."
Je le savais. Depuis le moment où j'ai rencontré Denver aussi.
Voir mon père revivre ces souvenirs a fait monter les larmes dans nos yeux à tous les deux, surtout après avoir vu de mes propres yeux à quel point elle était réellement belle. Mon père ne mentait pas. Il a peut-être menti sur beaucoup de choses.
Mais pas sur cela.
À ce moment-là, même dans les yeux de Nana brillait une lueur.
"Chaque jour depuis lors, chaque fois que je repensais à ce jour, je me demandais combien d'autres millions de façons cela aurait pu se passer. Comment je n'aurais peut-être jamais rencontré ta mère m'a tourmenté pendant si longtemps jusqu'à ce que je réalise. Destiny et Fate, deux faces de la même pièce. J'étais censé la rencontrer ce jour-là." Il a dit.
"Même si la pierre n'avait pas frappé mon pied ou si j'avais pris un chemin complètement différent dans la forêt, j'étais quand même censé rencontrer Susannah ce jour-là et mon Dieu, comme elle a changé ma vie." Une larme a coulé sur sa joue alors que je ressentais une piqûre dans ma poitrine.
"Je suis tombé amoureux d'elle d'une manière que je n'avais jamais ressentie pour personne d'autre. D'une manière si intense et effrayante. Je l'aimais comme on respire. Comme si elle était profondément inscrite dans les racines de mon cœur. Je l'aimais plus que la vie elle-même et Susannah, elle m'aimait aussi." Gerald a chuchoté.
"Après quelques semaines seulement, lorsque nous étions sûrs que c'était ce que nous voulions, nous avons décidé de nous marier. C'est ce matin-là qu'elle m'a dit ce qu'elle était, c'est-à-dire une hybride. Comme s'il y avait un monde où cela aurait pu changer quelque chose ou la façon dont je ressentais pour elle. Rien ne pouvait le faire, Eliana. J'avais déjà rêvé de toute ma vie et elle en était le centre."
"Elle était tout. Elle était ma vie."
"Et toi, tu étais aussi ma vie. Je me souviens quand elle a découvert qu'elle était enceinte, à quel point elle était heureuse et ravie. Elle a toujours voulu élever un enfant, donner naissance à quelque chose qui vient d'elle et le voir grandir. Elle disait que c'était comme une fleur, mais en plus, et elle adorait les fleurs. Elle t'aimait. Chaque coup de pied, chaque bruit, chaque nuit nous sommes restés éveillés à cause de toi. Chaque conversation que nous avons eue avec toi. Susannah t'aimait. Moi aussi" Il a ajouté.
Il y avait une boule douloureuse à l'arrière de ma gorge tandis que je reniflais.
"Tout était parfait, tout était exactement comme je l'avais rêvé. Jusqu'au jour où elle était enfin censée te donner naissance et tu sais..." Mon père a fait une pause. "Tu sais déjà ce qui s'est passé."
"Ce que tu ne sais pas, c'est que j'étais juste là, je tenais ses mains quand elle est passée. Et j'ai regardé lentement et douloureusement la vie quitter ses yeux et son corps devenir froid. Le son de tes pleurs perçait l'air mais je ne pouvais pas détourner les yeux de ta mère, Eliana."
"Comme elle gisait là sans vie, mon cœur s'est brisé. Mon monde s'est effondré. J'ai même pensé mourir. Quand je repense à cela, je crois que je suis mort ce jour-là, le jour où je l'ai perdue. La partie de moi qui était si amoureuse et si délicate, la partie qui était censée t'aimer inconditionnellement et prendre soin de toi, Eliana" Il a dit.
"Je devais le tuer si je voulais survivre."
"Si je voulais un jour avancer parce que j'avais une Meute à diriger. Je devais rester fort même après tout. Même après avoir perdu ma Luna, mon monde. Certains jours, je voulais juste me tuer parce que l'idée de me réunir avec elle était si réconfortante. C'était tout ce que je voulais. J'étais tellement frappé et tué par mon chagrin que j'ai échoué, Eliana. J'ai échoué envers toi et j'ai échoué envers toute la Meute depuis le jour où j'ai perdu ta mère"
J'ai secoué la tête, la baissant pour qu'il ne voie pas les larmes couler sur mes joues, mais c'était comme si une épée traversait mon cœur, en l'écoutant raconter tout ce qui s'était passé.
"Je me suis transformé en ce monstre horrible et cruel, mais épouser Sienna n'était pas ce que je voulais. Les anciens de la Meute m'ont forcé à le faire. Je venais d'être couronné Roi et j'avais un long chemin devant moi. Ils ont dit que je ne pouvais pas le faire seul. Personne ne respecte un roi sans une Luna à sa droite. Alors, ils m'ont dit ce jour-là qu'ils ont trouvé une autre fille comme Susannah"
"Et je me souviens avoir ri à leur face" Même maintenant, il ricanait encore.
"Parce qu'il n'y avait personne comme Susannah. Personne au monde comme elle."
"Pourquoi as-tu fait ça ?" J'ai murmuré. "Epouser Sienna ? Pourquoi l'as-tu fait ?" J'ai répété et une boule dure est descendue dans sa gorge. "Parce que j'y étais obligé. J'ai été forcé d'être fort et de passer à autre chose avant d'être prêt."
"Cela m'a fait me haïr encore plus, ainsi que ma vie. Je ne te détestais pas, Eliana. Je ne t'ai pas détestée un seul jour, je me détestais juste moi-même et je comprends maintenant à quel point cela a dû te faire mal" Il m'a chuchoté.
"C'était comme si ma vie n'était plus contrôlée par moi. Comme si j'avais perdu tout sens du but et de la direction depuis sa mort."
"Je l'ai aussi perdue, tu sais" ai-je dit.
"J'ai aussi perdu quelqu'un et on me le rappelait tous les jours de mon enfance. Que j'avais tué ma mère et tu n'as jamais rien fait... tu ne m'as jamais défendu, papa. Et tu aurais pu" Il y avait une faille dans ma voix.
"Tu aurais dû."
Ses yeux étaient une rivière de larmes quand il acquiesça.
"Tu as raison, Eliana. J'aurais dû faire quelque chose, j'aurais dû te protéger parce que tu étais tout ce qu'il me restait d'elle mais à ce moment-là, tu étais aussi un rappel de ce que ma vie aurait pu être mais ne serait jamais. Tu étais un rappel de tous les plans, de tout l'amour, de tout ce que je ne voulais pas me rappeler. De tout ce que j'ai tellement lutté pour oublier" a-t-il répondu.
"Mais j'ai aussi te fait du mal, tellement, de manière inquantifiable que je ne suis pas sûr que Susannah me pardonnerait jamais. Je ne suis pas sûr que tu le ferais jamais mais je t'ai appellé ici aujourd'hui pour essayer" a chuchoté mon père. "Je ne sais combien de temps il me reste, Eliana mais le fait même que je sois encore en vie est grâce à toi. C'est parce que tu as été assez courageuse et forte pour me sortir de cette pièce, pour me sauver et pour défier Jaxon pour l'Alpha."
"Tu es forte, tout comme elle. Tu es tout ce que je n'aurais jamais pu être."
"Et je suis désolé pour tout ce que je t'ai fait subir. Je suis désolé de ne pas avoir été là, de ne pas t'avoir protégé, Eliana. Je suis désolé de t'avoir déçu en tant que père" Il essuya ses larmes, sur le point de tomber à genoux lorsque je l'arrêtai.
"Non!" Ma voix se brisa. Je lui tenais la main, le regardant dans les yeux.
"Je t'entends Papa. Je te pardonne mais je t'en supplie, ne t'agenouille jamais pour moi" dis-je. Il secoua cependant la tête en caressant mes joues de sa main.
"Il viendra un jour où je devrai le faire" Il répondit puis un arc se forma entre mes sourcils. "Et ce jour se rapproche maintenant, Eliana" Il ajouta.
"Quoi?"
"Que veux-tu dire?"
"Je dis que je renonce à ma position d'Alpha—" "Papa!" Je l'interrompis, comprenant exactement ce que cela signifiait mais il secoua la tête. "Je n'ai pas fini."
"Je sais que Denver a déjà défié pour être Alpha et que mon renonciation ne ferait qu'accélérer le combat mais je dois faire ce qui est juste, Eliana. Je dois faire ce qui est juste maintenant même si je crains qu'il ne soit trop tard" Il entoura mes mains des siennes et les serra.
"Mais tu es toujours en vie?" chuchotai-je. "Tu peux gouverner" Tout ce qu'il fit fut de secouer la tête. "Tu ferais un meilleur travail que moi. Tu t'es prouvée, Eliana" me dit-il et il me fallut un moment pour comprendre. Quand je l'ai fait, j'ai regardé ma Nana puis à nouveau lui.
"Attends quoi?" demandai-je.
"Je ne veux pas que Denver soit Alpha. Je sais que tu lui fais confiance et moi aussi mais je te veux toi, Eliana. Je veux que tu aies tout, je te fais confiance. Et toute la meute aussi. Tu peux diriger les Blood Hounds. Tu peux diriger"
Un frisson me parcourut l'échine.
"Mais je suis une femme?" Ma voix tremblait. Il existait même une loi qui interdisait d'avoir une Alpha femelle mais je suppose que cela n'avait pas d'importance parce que mon père secoua la tête. "Tu es Eliana Jacobs" Il chuchota.
"Tu es forte, tu es courageuse et tu t'es élevée toute seule pendant que j'étais un homme terrible. Tu es devenue cette femme incroyable, féroce et compatissante —" "Mais cela signifierait que je devrais le combattre... Jaxon?" dis-je.
"C'est juste Jaxon" Mon père a raillé. "Tu as toujours été plus forte et bien plus intelligente que lui. Mon plus grand regret a été de donner naissance à un monstre en premier lieu parce que si je pouvais retourner dans le temps, une chose dont je ne serai jamais capable, je n'aurais jamais épousé Sienna. J'aurais choisi toi car tu étais suffisante, Eliana. Tu as toujours été plus que suffisante" Il a continué.
Et à cet instant, mon cœur a fondu dans ma poitrine alors que je regardais ma grand-mère. Elle m'a souri avec une approbation silencieuse. Je pouvais à peine y croire. Je pouvais à peine croire ce que mon père venait de me demander.
Régner sur une meute était quelque chose que je n'aurais jamais pensé faire et tout ce que je voulais à ce moment-là était de le dire à Denver. Je n'étais pas sûre de comment il allait le prendre ou si j'allais l'accepter moi-même.
Je fis un pas en arrière pour un instant. Mais même cela ne suffisait pas.
"Tu peux prendre du temps, Eliana. Mais les documents sont déjà préparés. Il ne reste plus que toi pour accepter. Et si cela a quelque chose à voir avec la peur, il vaut mieux que tu le saches. Parce que tu es la personne la plus forte que je connais."
"Tu es une combattante, surtout quand il s'agit de ton peuple. La meute a besoin de cela. La meute a besoin d'un combattant et franchement, je pense que tu ferais même un meilleur travail pour le vaincre que Denver" Il a ri légèrement, attrapant à nouveau mes mains. J'ai levé mon regard vers lui et il a souri.
"Ta grand-mère m'a parlé de Elyndra..." Je me suis levée pour partir mais à ce moment-là, je me suis arrêtée. "Encore une chose," ai-je dit, lui lançant un regard en arrière. "J'ai vu maman et elle m'a dit de te dire qu'elle t'aime"
Ses yeux se sont rétrécis en un sourire alors qu'il fixait son regard dans le mien.
"Eliana," Il a chuchoté avant de dire les mots que je n'aurais jamais cru entendre de la part de mon père. "Je t'aime." Ses mots m'ont frappé comme une tempête et il était difficile de retenir les larmes dans mes yeux.
"Et merci." Mon père a hoché la tête. "Merci beaucoup pour tout." Un demi-sourire a courbé mes lèvres alors que je sortais de la pièce. Et dès que mes yeux ont rencontré Ivan, il a demandé.
"Qu'est-ce qui s'est passé ?"
À ce moment-là, un doux soupir s'est échappé de mes lèvres.