Rose quitta la résidence Lupin et se rendit à l'endroit où vivait Nolan. Elle avait déménagé et vivait seule depuis longtemps. Cependant, comparé au Manoir Lupin, elle visitait plus souvent l'ancienne demeure de la famille Lupin où vivait Nolan.
"Mademoiselle, le maître vous attend dans son bureau. Il veut vous voir tout de suite", lui dit le majordome. Enlevant ses chaussures talons, Rose répondit :
"Compris. J'y vais immédiatement." Dans le bureau, un homme, déjà septuagénaire, était assis face à un échiquier. Les pièces blanches de l'échiquier n'avaient plus de place pour battre en retraite tandis que les pièces noires avançaient pas à pas. Les pièces blanches étaient déjà en situation de défaite, sans possibilité de revirement. Les cheveux du vieil homme étaient soigneusement peignés, sans
un soupçon de désordre. Cela ne masqua pas pour autant ses cheveux blancs comme l'argent qui étaient de ce fait encore clairement visibles parmi les noirs. Dans ses orbites légèrement creuses, une paire d’yeux marrons troubles montrait une sagacité et une froideur.
"Comment as-tu résolu le problème ?" demanda le vieil homme. Rose s'inclina alors respectueusement devant lui, puis dit de sa voix soigneuse et prudente :
"Grand-père, Danielle a forcé Mathéo à s'excuser auprès de ce garçon blessé." Aussitôt, Nolan leva ses yeux troubles, fixant intensément sa petite fille, pensif pendant un moment.
"Combien l'entreprise a-t-elle perdu ?" demanda-t-il ensuite. À cette question, Rose frissonna légèrement. C'était en effet la perte la plus substantielle depuis qu'elle avait rejoint l'entreprise.
"Selon des estimations approximatives, presque cinq cents millions", dit-elle. À ses mots, Nolan jeta négligemment le pion blanc qu'il tenait au milieu de l'échiquier, interrompant la partie en cours. Il se leva ensuite, s'appuyant sur sa canne avec des mouvements chancelants.
"Très bien. Comme on pouvait s'y attendre de la fille de Matilda, un coup de main hautain. En moins d'une heure, elle a fait perdre cinq cents millions à la famille Lupin !" dit-il. Cinq cents millions n'étaient pas beaucoup pour la famille Lupin. Cependant, les actions de Danielle étaient comme une déclaration de guerre pour Nolan, mettant à l'épreuve ses limites. Rose savait que son grand-père était furieux, alors elle aborda prudemment le sujet.
"Grand-père, je ne pense pas que Danielle aurait pu faire ça. Quand j'étais arrivée, elle discutait avec Mathéo sur le terrain de basketball. Elle n'aurait pas eu le temps de pirater le réseau de l'entreprise", dit-elle. Elle pensait
que son grand-père se faisait des illusions. Quel âge avait Danielle
? Comment pourrait-elle éventuellement traverser la douzaine de pare-feu de la société et pénétrer dans le système interne ? Une telle personne devrait être un pirate informatique de classe mondiale. Le système de cybersécurité de la famille Lupin avait été personnellement mis en place par des talents informatiques étrangers de premier plan. Comment une petite fille de la campagne pourrait-elle donc réussir à faire cela ? La seule explication qu'elle trouvait plausible était que Danielle avait saisi une
sorte d'opportunité et avait fait la connaissance d'un gros bonnet qui l'avait
aidée, laissant derrière lui des informations. Nolan se tenait près de la
fenêtre, le dos tourné à Rose. Son corps voûté et sa voix rauque trahissaient son âge.
"Même si ce n'était pas elle, il doit y avoir un pirate informatique de haut niveau derrière Danielle. Essaye d'éviter de la confronter directement pour le moment", dit-il. À ses mots, Rose acquiesça. Elle suivait toujours les conseils de son grand-père, et sans autre enquête, Nolan la laissa partir. Dans l'obscurité, une paire d'yeux froids et malveillants scintillait d'une
intention meurtrière. Pendant ce temps, chez la famille Bourgeois,
tout le monde était sur les nerfs. Le matin, la jeune maîtresse fraîchement revenue avait blessé Alexie. Dans l'après-midi, Priscille était rentrée en
pleurs. Et le soir, M. Bourgeois était rentré chez lui, contre toute attente. Il ne s'était même pas soucié du dîner. Il s'était simplement assis au salon, attendant quelqu’un avec impatience. À cet instant, la famille Bourgeois était comme une bombe prête à exploser à tout moment. Un seul faux pas et elle s'effondrerait. À 19h15, Danielle revint à la maison. Elle avait pris assez de thés au lait, donc son humeur était plutôt bonne.
Naturellement, elle était le membre le plus enjoué de la famille Bourgeois
à ce moment-là. Tout ce temps, Roger était assis tranquillement sur le canapé, l'attendant. Priscille n'était pas descendue. Elle était dans sa chambre à discuter en appel vidéo avec Mathéo. Elle avait déjà
appris ce qui s'était passé après son départ grâce au forum en ligne de l'école et de ses amis proches. Rose avait en effet forcé Mathéo à s'excuser auprès de Leo. Écoutant l'insatisfaction de son fiancé envers Rose, Priscille ne voulut pas rater une telle occasion. Elle attisa volontairement le feu en y ajoutant de l'huile. Les deux à l'étage étaient tellement absorbés par leur conversation douce et amusante en vidéo qu'ils ne prêtaient presque aucune attention à ce qui se passait en bas. Au moment où Danielle entra dans la pièce, elle remarqua Renaud dont les yeux tressautaient dans sa direction, puis elle vit Roger avec une expression malheureuse. À ses côtés était Alexie qui se réjouissait de
toute la situation.
"Sais-tu ce que tu as fait aujourd'hui ?" demanda Roger, furieux. Alors qu'il parlait, Danielle avait une main dans sa poche, plissant légèrement les yeux avec cet air frivole, le même comportement insouciant que tout le monde lui connaissait. Cela mit le chef de famille davantage en colère.
"As-tu forcé Mathéo à s'excuser aujourd'hui ? Qu'as-tu fait ? Qu'est-ce qui a poussé la famille Lupin et Rose à mettre la pression sur Mathéo pour qu'il s'excuse ? Es-tu consciente du tort que cela cause ? As-tu déjà pensé aux conséquences de ton acte pour la famille Bourgeois ?" cria-t-il sans retenue.
"Qu'est-ce que j'ai à voir avec la façon dont se porte la famille Bourgeois ?" demanda Danielle en guise de réponse. Roger n'en crut pas ses oreilles. Il ne s'attendait pas à ce qu'elle dise de tels mots.
"Tu es la fille aînée de la famille Bourgeois, et tu dis que cela ne te regarde pas ? Pourquoi ne peux-tu pas être obéissante et sensée comme Priscille ?
Je fais de mon mieux pour te mettre à l'aise. Qu'est-ce qui ne te satisfait pas encore ?" gronda-t-il. À ses mots, Danielle inclina la tête pour lui jeter un coup d'œil. Sur le coup, l'enthousiasme de Roger fut dégonflé. Dans les yeux de la jeune fille, il ne lut aucun intérêt pour la famille Bourgeois. Elle
n'avait aucun égard pour lui, son père. Résolument, il dit :
"Demain, je ferai en sorte que Renaud s'occupe des procédures de transfert de la villa pour toi. Tu peux aller te coucher d'abord, pour te calmer." Comme toute réponse, Danielle acquiesça indifféremment. Son visage était sans émotion. Il semblait que la famille Bourgeois
n'avait aucune attraction pour elle. Sans un mot, elle monta à l'étage.
Quelques minutes plus tard, la jeune femme, portant le sac à dos noir qu'elle avait apporté avec elle dans la maison, passa la porte d'entrée de la famille Bourgeois sans se retourner. Les cris de Renaud ne servirent à rien, peu importe combien fortement il criait. En face de la porte d'entrée de la famille Bourgeois, une voiture de sport rouge était garée au bord de la route. Danielle monta dans la voiture et, avec un rugissement, celle-ci disparut, ne laissant derrière elle que des gaz d'échappement. En la voyant
monter dans la voiture, Renaud était surpris. La voiture était clairement une
édition limitée. Comment Danielle pouvait-elle connaître une personne si riche au point de pouvoir s'offrir ce type de voiture ? De l'autre cote, Roger
s'affalait sur le canapé. Voyant Danielle partir, il ressentit un léger regret. "Chéri, Danielle est trop capricieuse. Tu lui as demandé de rester pour son propre bien. Après le banquet le mois prochain, elle pourra revenir à la maison", dit Alexie. En entendant cela, Roger jeta un regard à sa femme blessée. Hélas. Un peu de prétention était nécessaire.
"Ne blâme pas Danielle. Elle est encore jeune et n'a définitivement pas fait ça intentionnellement. Tu devrais bien te rétablir. Aussi, demande à Priscille de tout expliquer à Mathéo. Après tout, nos deux familles deviendront des alliées à l'avenir. Ce n'est pas bon si la relation devient trop tendue”, dit-il. Alexie alors hocha la tête et répondit :
"Comment pourrais-je blâmer Danielle ? Suis-je si mesquine ? Ne t'inquiète pas. En ce qui concerne la famille Lupin, Priscille sait que faire. T'a-t-elle déjà causé des ennuis depuis sa naissance ? S'il te laît, détends-toi." Quelques instants plus tard, voyant que son mari allait encore quitter la maison pour rejoindre sa secrétaire, Alexie fit semblant de s'évanouir. Roger l'aida alors à monter à l'étage. Cette nuit-là, le vœu de la femme d’âge moyen fut exaucé. Le lendemain, lorsqu'elle descendit les
escaliers, elle était radieuse et son visage était détendu. Sa nuit avait été torride.
Université de Luminara. Salle de classe du département de physique.
Pouvait-on dire que Danielle était maintenant célèbre ? L'événement qui eut lieu sur le terrain de basketball la veille s'était déjà répandu dans toute l'Université de Luminara, permettant étonnamment à la jeune femme de se faire quelques petits fans. En une seule nuit, les étudiants créèrent des groupes de soutien pour elle. Certains qui étaient jaloux d'elle ou qui étaient plus proches de Mathéo et Priscille, laissèrent des commentaires
disant :
"Qu'y a-t-il de si génial chez une fille de la campagne ? Danielle ne mérite pas ce soutien." Cependant, ces commentaires furent tous contrés par les partisans de la nouvelle-venue. Danielle apprit tout cela de Leo. Pourquoi ce dernier savait-il tant de choses ? En réalité, il était le président du fan club de Danielle. Alors qu'il lui rapportait les faits, la jeune femme écoutait simplement et ne le prenait pas à cœur.
Quelques minutes plus tard, dans la salle de classe.
Dès que Serge fut sur le point de présenter Danielle depuis la tribune,
les personnes en bas ne purent plus se retenir. Certains qui n'avaient pas été sur le terrain de basketball la veille n'avaient naturellement pas vu comment Danielle avait fait s'excuser Mathéo. elles n'avaient entendu que des commentaires sur comment elle était géniale, combien elle était belle. Il y avait toujours eu plus de garçons que de filles dans le département de physique, et lorsqu'ils se déplaçaient en groupe d'hommes célibataires lors de grands événements, ils étaient ouvertement discriminés. Mais maintenant, c'était différent. La nouvelle beauté de l'école venait de leur département, le département de Physique. C'était suffisant pour
eux pour qu'ils se prennent la grosse tête.
"Monsieur, nous connaissons déjà tous Danielle", s'écrièrent-ils.
"C'est ça, c'est ça. Pas besoin de la présenter."
"Ouais ! Qui ne sait pas que notre département de physique détient désormais la plus jolie fille de toute l'université ?" commenta un autre. Dépassé, Serge regarda Danielle restée silencieuse. Pensant à sa visite du matin, lorsqu'elle vint vers lui pour régler son problème de logement, il supposa grossièrement qu'elle avait peut-être été expulsée par son père. À ce stade, sans s'en rendre compte, il regardait Danielle avec une nouvelle affection. Au début, il la considérait comme une épine irritante, seulement pour réaliser qu'elle était une enfant au cœur tendre. Elle était la seule à avoir eu le courage de se démarquer dans la situation de la veille, pour sauver un inconnu. Dans son cœur, il se promit d'être plus gentil
avec elle à l'avenir. Après tout, elle était encore une enfant pitoyable.
"D'accord, assez ! Danielle, pourquoi ne te présentes-tu pas toi-même ?" demanda-t-il. À ses mots, voyant un ensemble de visages curieux assis en face d'elle, Danielle se dirigea vers le podium et, après avoir écrit deux mots sur le tableau, elle descendit.
"Danielle Hardy", écrivit-elle. Les caractères qu’elle venait d'écrire lui ressemblaient. Au-delà de leur netteté, ils dégageaient une attitude d'indifférence envers le monde, le propre de la jeune femme. Serge regarda les caractères sur le tableau de manière contemplative. Pourquoi ce nom semblait-il quelque peu similaire à celui accroché dans le bureau de ce vieil homme ? se demanda-t-il. La seconde d'après, il secoua la tête, se disant qu'il devait avoir des hallucinations.